À l'occasion de l'édition 2016 du combat de vaches international Reine de l'Espace Mont-Blanc, le Cefp a réuni les plus grands experts du secteur, anthropologues de la relation homme-animal et des pratiques basées sur le jeu avec les animaux. Les spécialistes invités au colloque ont ainsi pu assister à un spectacle d'exception.
Depuis quelques années, les combats de vaches, qu'on nomme combats (ou batailles) de reines dans la région alpine, connaissent une expansion géographique remarquable et sont l’objet d’un engouement sans précédents.
Ce phénomène contemporain est porteur de nombreuses innovations tant sur le plan de la création de nouvelles manifestations, comme l’Espace Mont-Blanc qui se dispute chaque année depuis 2012, aussi bien que sur le plan de l’expansion géographique des combats dans les départements français de la Haute-Savoie et de l'Isère, dans le Haut-Valais depuis le Valais romand et dans la région italienne du Piémont depuis la Vallée d'Aoste. En outre, les transformations sont observables sur le plan plus structurel de l’activité d’élevage, avec l’adoption de nouvelles stratégies de travail et d’échange économique pour soutenir la dimension ludique, sans compter que la passion des reines semble ouvrir la voie à d’autres jeux de combats qui prennent de plus en plus pied dans l’aire en question (génissons, chèvres, etc.), renvoyant à des pratiques analogues dont témoignent des études ethnologiques sur tous les continents.
Pour toutes ces raisons, une mise au point se rendait nécessaire, d’autant plus que pénétrer dans l’univers des combats de reines permet aussi d’élucider les transformations d’une société alpine qui par le biais des combats et de la relation à la vache exprime ses représentations de l'animalité, tout en repensant en profondeur l’exploitation agropastorale de la montagne.
C’est ainsi que le Cefp a souhaité organiser ce moment de confrontation entre experts, où le comparatisme à plusieurs échelles permet de mettre en exergue plusieurs éléments cruciaux, que ce soit dans l’étude de la relation homme-animal s’articulant autour du double statut de ce dernier, tantôt animal de rente, tantôt animal de combat, aussi bien que dans l’appréhension de la dimension ludique évoquant les enjeux économiques et les valeurs sociales, voire la pensée animaliste contemporaine. Autant d’aspects comparatifs qui ne manqueront pas de se croiser avec les résultats des recherches menées par le Cefp au cours de l’année 2016, relatives aux nouveaux enjeux des combats de reines, analysés dans leur évolution toute récente, dans un contexte social et économique en pleine transformation.
Après l’introduction en matière de la part de Marie-Claire Chaberge, qui nous offre un aperçu panoramique des combats sur l’ensemble de l’aire en question, la contribution d’Isabelle Arpin fait ressortir un environnement alpin où la notion de combat semble s’inscrire en profondeur dans les représentations collectives et s’applique tout aussi bien à la pratique quotidienne de l’élevage qu’à l’intérieur de l’arène. En dehors de l’espace alpin, Estelle Rouquette et Laure Marquis nous montrent comment en Camargue les enjeux de l’animalisme contemporain affectent les pratiques taurines, de même que Mondher Kilani porte notre attention sur la crise de la « vache folle » biaisée par le regard des éleveurs de la race d’Hérens. En nous présentant le numéro thématique de la revue Orma, 22, Gianfranco Spitilli nous propose, quant à lui, une analyse passionnante des cérémonies ayant pour protagonistes des bovins, en s’arrêtant en particulier sur les rituels italiques de l’Apennin central. En réalité, la démarche comparative s’exerce aussi bien en plaçant l’accent sur la relation homme-bovin dans des territoires très éloignés des Alpes comme le Népal, dont Fabio Armand nous présente les combats de bovins et les rituels propitiatoires pour le bétail et la fertilité des champs, ou comme l’Iran, dont la contribution de Christian Bromberger montre la dimension politique, s’agissant d’une passion interdite, ou enfin comme dans la recherche des affinités et des disparités entre les représentations de la vache dans les univers alpin et est-africain que propose Jérôme Dubosson. Quant à Frédéric Saumade et Thierry Wendling, ils poussent encore plus loin les termes de la réflexion, le premier en parcourant de nouvelles pistes comparatives entre Europe et Amérique, autour des ressorts de la plus-value inhérente à la transformation de l’animal de rente en animal de combat, le deuxième, en focalisant sur une autre très étroite relation homme-animal, celle qui lie les hommes du grand nord à leurs chiens de traîneau, à l’époque du développement touristique et du réchauffement climatique.
Il serait redondant de souligner comment la relation homme-bovin mérite encore de nos jours toute l’attention des anthropologues si les nombreuses conjonctures évoquées plus haut ne laissaient point fuser une ambiguïté mal dissipée sur ce superbe objet d’étude, quant à la pertinence et à la légitimité d’une approche que la nouvelle sensibilité animaliste est en passe de remettre en question, en minimisant toute différence entre l’humain et l’animal, en laissant libre cours à une zoomanie qui anthropomorphise l’animal et diabolise l’homme, au nom d’un sentiment commun politiquement correct qui nie la diversité animale et qui impose la même sensibilité humaine à tous les êtres vivants, toutes espèces confondues.