Un numéro spécial de l'IJSL dédié au francoprovençal
Depuis 2015 le Cefp a promu un nouveau type de réflexion sur la langue, attentif aux comportements linguistiques des locuteurs, à leurs représentations et à leurs besoins. En effet, sans oublier les autres disciplines et les nombreux centres d’intérêt qui ont été développés à Saint-Nicolas au fil des années et qui le sont toujours, un réseau d’échanges a été mis en place parmi les chercheurs qui étudient la communication francoprovençale. Ces derniers ont accueilli l’invitation à réfléchir sur des questions d’actualité qui peuvent être observées dans cette aire linguistique à travers les débats, parfois vivaces, qui opposent les locuteurs et les non locuteurs, les apprenants et les formateurs, les acteurs des politiques linguistiques et les médiateurs culturels. À cause de ses enjeux multiples, et sous ses différents aspects que nous allons bientôt prendre en compte, la standardisation est devenue un thème crucial dans la réflexion francoprovençale au cours de ces dernières décennies.
Afin d’analyser les dynamiques cachées de cette situation par moments très conflictuelle et de contribuer de manière constructive au débat général, une table ronde a été organisée dans le cadre de la Conférence annuelle du Cefp qui a eu lieu à Saint-Nicolas le 11 novembre 2017. La journée était l’occasion de réunir les auteurs de l’International Journal of the Sociology of Language ayant contribué au numéro spécial «Francoprovençal: documenting contact varieties in Europe and North America ».
La table ronde du Cefp
La table ronde qui suivit la présentation des articles publiés dans la revue suscita un intérêt très vif auprès du public, mais aussi auprès des intervenants, si bien qu’il fut décidé séance tenante de conserver une trace de l’état d’avancement de cette réflexion très actuelle. Les chercheurs intervenus dans la discussion ont su amorcer une synthèse des questionnements qui traversent l’aire francoprovençale, en dehors du milieu scientifique, opposant parler local et parler global, ruralité et urbanisation, langue orale et langue écrite, norme et usage, communication traditionnelle et nouvelles technologies, etc.
Déconstruire les représentations des uns et des autres est à notre sens une étape essentielle pour donner une chance au francoprovençal et pour faire évoluer le débat d’une manière pacifique et constructive. En effet, le regard objectivant des spécialistes s’avère essentiel pour désamorcer les tensions, en dépassant les questions trop ponctuelles pour adopter une vue d’ensemble.
Afin d’ordonner les nombreuses interventions autour d’un fil logique, trois pistes ont été proposées aux contributeurs :
1. Les besoins réels des locuteurs à l’échelle du domaine francoprovençal: une standardisation pour qui ?
2. Une norme ou plusieurs normes ? Norme globale ou norme régionale ?
3. Les écueils de la standardisation du francoprovençal.
Jean-Baptiste Martin ouvre la discussion en s’interrogeant sur la légitimité de la standardisation pour une langue essentiellement orale. Andrea Rolando et Marc Olivier Hinzelin nous offrent quelques réflexions intéressantes sur l’opportunité de créer un standard unique, le premier en illustrant l’expérience du Dicionero, le deuxième en avançant une comparaison avec le domaine rhéto-roman. Riccardo Regis, quant à lui, analyse le rôle des études sur la vitalité d’une langue dans la définition d’une politique linguistique, tandis que Christiane Dunoyer relève le caractère pluriel de la standardisation, comme sont plurielles les pratiques et les représentations de la langue sur l’ensemble de l’aire francoprovençale. Manuel Meune nous propose un survol de plusieurs siècles, à la recherche de l’idée de la «meilleure graphie », jusqu’au «graal panfrancoprovençal ». Enfin Natalia Bichurina évoque le sens social de la pratique linguistique et son articulation avec la création d’un standard correspond à un certain espace d’échanges.
Le Cefp entend faire rebondir le débat scientifique auprès des locuteurs et plus en général auprès des acteurs impliqués dans la valorisation de la langue, enseignants, journalistes, médiateurs culturels, auteurs de blogs, qui plus est dans les différentes régions de l’aire linguistique. S’ouvrir aux idées nouvelles signifie accepter de réfléchir autrement, ce qui est une richesse pour tout le monde, jamais un danger.